La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France

Blaise Cendrars - alias Frederic Sauser - a 25 ans quand il écrit "La Prose du Transibérien et de la petite Jeanne de France". Dans ce poème, il est un jeune homme de seize ans, aujourd'hui interprété par une femme : les temps ont changé.

La voix de ce très jeune poète est celle de toutes les jeunesses du monde, d’hier et d’aujourd’hui, sans doute de demain : de l’urgence de vivre et de ressentir, de l’ivresse et du désir d’avaler le monde. Le Kremlin lui-même est un énorme gâteau tartare à engloutir d’une seule bouchée. Il faut partir, bourlinguer, éprouver et écrire, retranscrire. Mais là-bas, plus loin, c’est la guerre entre la Chine et les puissances occidentales. L’arrivée à Kharbine se fait au milieu des flammes et des combats. De cet éprouvant voyage – que Blaise Cendrars n’a sûrement fait qu’imaginer -, il ramène des images folles de violences, celles de la traversée de la guerre et du néant : « Nous disparaissons dans la guerre, en plein dans un tunnel. » Il finit par écrire à la fin de son poème : « Je voudrais n’avoir jamais fait mes voyages. » Mais il ramène aussi une petite jeune prostituée et toute leur tendresse et rudesse partagées : Jeanne, à qui est dédié ce poème. Cette femme est celle à qui on a ôté la parole. Celle dont on nie l’existence. Elle est la misère, elle est l’innocence. Il ne la sauvera pas mais elle sera son alliée : « Nous sommes les culs-de-jatte de l’espace. On nous a rogné les ailes. Les ailes de nos sept pêchés. Et tous les trains sont les bilboquets du diable. Basse-cour. Le monde moderne. La vitesse n’y peut, mais le monde moderne… »

Il reste alors le voyage d’un homme et d’une femme, embarqués dans le wagon d’un train toute vapeur. Ils nous emmènent jusqu’à la frontière de la Russie et de la Mongolie, à la rencontre du monde moderne tel qu’il se dessine au début du XXe siècle, dans la géométrie des chemins de fers qui découpent les steppes sibériennes. Voyage géographique, mais surtout voyage existentiel et atemporel qui nous embarque dans les images, les rythmes et les rouages de nos voyages trajectoires les plus intimes, il s'adresse aussi à ce qui nous fait à l'heure d'un monde complexe et, parfois, effrayant.

Ce texte formidable accompagne le Souffle à l’Oreille depuis plus de dix années. En épigraphe du poème, Blaise Cendrars n'écrivait-il pas « dédiée au musiciens…» ? Il était de son souhait que la Prose soit lue et mise en musique. Dans ce sillage, il est la première création que le duo porte sur scène, sous forme de spectacle et accompagné par les chansons originales de Flavien Ramel.

Durée 55 minutes

Blaise Cendrars (1887-1961) et Sonia Delaunay (1885-1979). La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France. Édition originale, 1913. Paris : Éditions des Hommes nouveaux.

 

Extraits enregistrés en février 2022 (images : David Clermont)

Sara Darmayan et Flavien Ramel. La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913, Blaise Cendrars) - Extrait 2 -

Sara Darmayan et Flavien Ramel. La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913, Blaise Cendrars) - Extrait 1 -

Sara Darmayan et Flavien Ramel. La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913, Blaise Cendrars) - Extrait 3 -

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